3 novembre 2016 – L’ancien directeur du SVR prend la tête d’un think tank lié au Kremlin

L’info du jour

Un mouvement, un de plus dans cette année agitée au sein de l’appareil d’Etat russe : Vladimir Poutine a signé jeudi 3 novembre un décret nommant Mikhaïl Fradkov, qui dirigeait depuis 2007 et jusqu’à il y a quelques semaines le SVR (renseignements extérieurs russes), à la tête de l’Institut Russe pour les Etudes Stratégiquesrapporte l’agence Rambler News Service. Vladimir Poutine avait renvoyé Fradkov du SVR le 22 septembre, avant de l’exclure dix jours plus tard du Conseil de Sécurité russe.

La nomination de Fradkov remet en lumière cette organisation établie par la présidence russe, réputée proche des services de renseignements russes (l’actuel directeur, qui sera bientôt remplacé, est aussi un ancien du SVR) et qui s’est rendue célèbre pour ses positions ultraconservatrices. Mais le think tank entretient aussi des contacts avec plusieurs noms bien connus de la sphère pro-russe française.

Ainsi, en février dernier, le RISI (Russian Institute for Strategic Studies) organisait une table ronde prenant pour thème “la lutte contre le terrorisme international et les relations franco-russes“. Et si l’invité le plus connu de cette discussion était sans conteste l’idéologue Alexandre Dougine, architecte de la pensée de l’Eurasianisme et présenté par les médias occidentaux (sans doute de manière quelque peu exagérée) comme un des principaux idéologues du président russe, on y retrouve aussi plusieurs français. Le communiqué du think-tank n’en nomme qu’un : Emmanuel Leroy, présenté comme le directeur de la Web TV d’extrême droite TV Libertés. Mais on aperçoit aussi sur les photos Xavier Moreau et Alexandre Latsa, deux membres particulièrement actifs de la sphère pro-russe française (tous deux vivent en Russie). L’intervention de Mr Moreau se trouve d’ailleurs sur la chaîne Youtube de Stratpol, son “site d’analyses politico-stratégiques et économiques“. Les deux hommes, en plus de paraître régulièrement dans des médias pro-russes (Alexandre Latsa écrit notamment pour le média d’Etat russe Sputnik) font aussi partie du “Cercle Pouchkine”, une organisation pro-russe française qui serait “vérolé par des éléments du SVR“, d’après des sources cités par Nicolas Hénin dans son livre “La France russe”.

Mais le RISI ne se contente pas de cultiver les contacts avec les français les plus acquis à sa cause : ultraconservateur, il aime aussi passer sous le scalpel géopolitique les grands problèmes de la Russie contemporaine. Il affirmait par exemple dans un rapport publié en mai dernier que le problème du SIDA en Russie était “instrumentalisé dans le cadre d’une guerre de l’information menée contre la Russie» par un Occident qui cherche à imposer son modèle, fondé sur «un contenu idéologique néolibéral, insensible aux spécificités nationales et à l’absolutisation des droits des groupes à risque, les toxicomanes et les LGBT»” (voir l’article de Libération). La question du SIDA était ainsi présentée comme un simple élément du conflit entre l’Ouest et la Russie, le think tank préconisant des méthodes conformes aux “valeurs traditionnelles” (abstinence et fidélité, en gros) face à celles défendues par l’Occident (éducation sexuelle et contraception). La Russie est l’un des derniers pays d’Europe à enregistrer une augmentation constante du nombre de séropositifs : la ville d’Ekaterinbourg, dans l’Oural, a ainsi fait la une des médias russes il y a quelques jours après avoir annoncé que 1,8% de la population locale était séropositive.

Autre frasque récente du think tank : un rapport analysant “l’agressivité” des médias occidentaux par rapport à la Russie, allant jusqu’à mesurer celle de journalistes individuels :

Mais les déclarations et analyses fracassantes de cette organisation ne sont pas à prendre à la légère : ainsi, en février 2014, un rapport du think tank affirmait que l’objectif de l’institut de sondage “Centre Levada”, considéré comme le dernier institut de recherche sociologique indépendant du pays, était le “transfert au Département d’Etat américain de bases de données d’activistes […] afin d’obtenir toutes les informations nécessaires à leur recrutement“. A l’époque, cela pouvait ressembler aux “délires de tchékistes à la retraite“, selon les mots du directeur du Centre Levada. Mais le RISI était en fait en avance sur son temps : l’institut de sondage est depuis le mois de septembre dans la liste des “agents de l’étranger”, un statut qui, non content de lui apposer de manière quasi officielle l’étiquette d’espion, limite fortement ses activités et met en danger son existence même.

L’article du jour

 

Author: Fabrice Deprez

Je suis journaliste depuis 2015, un travail qui m'a déjà emmené en Ukraine, en Russie et dans les pays Baltes. Parmi mes (nombreux) intérêts se trouvent les transformations économiques et politiques de la région, les questions internationales et les problématiques digitales. Sinon, j'aime écouter du hip-hop russophone et manger du plov.

One thought on “3 novembre 2016 – L’ancien directeur du SVR prend la tête d’un think tank lié au Kremlin”

Leave a comment